Au soir de ce fameux 23 avril 1951, Rafael KUBELIK, l’Orchestre Symphonique de Chicago et le staff de MERCURY pouvaient légitimement s’enorgueillir d’avoir fait avancer considérablement l’histoire de l’enregistrement, du disque et de la Haute-Fidélité.
Ce disque exceptionnel a été enregistré avec un seul microphone ! Imaginez un orchestre symphonique complet capté avec un microphone unique, c’était très audacieux mais très efficace.
Il y a une vingtaine d'années, cet enregistrement monophonique légendaire a été réédité en CD par l’équipe MERCURY et c’est un enregistrement qu’il faut avoir écouté pour comprendre l’élan d’enthousiasme provoqué à l’époque.Savez-vous d’où vient l'appellation LIVING PRESENCE ?
C’est le critique musical Howard TAUBMAN qui, entendant ce fameux enregistrement des tableaux d’une exposition, a commenté son écoute par : on s’y croirait,...
on est en présence de l’orchestre.
C’était joliment dit et bien vu, l’équipe MERCURY Classique s’est approprié le slogan et c’est devenu :
MERCURY LIVING PRESENCE.
Ce jour d’avril 1951 a vraiment marqué le grand départ d’un label engagé dans la voie du classique et de la très haute qualité.
Cet exploit est grandement dû à Robert FINE qui, loin d’être un débutant dans le métier, pratiquait depuis des années et avait étudié les différentes techniques de prise de son à un ou plusieurs microphones.
Bob FINE a été l’un des premiers, courant 1950 aux Etats Unis, à introduire et utiliser un microphone électrostatique de provenance allemande, le U 47 de NEUMANN, encore inconnu aux Etats Unis.
MERCURY, souhaitant développer son activité classique, recrute, courant 1950, une jeune diplômée de l’université du Nord du TEXAS, Wilma COZART qui avait de grandes connaissances musicales, des idées neuves et des contacts intéressants, notamment avec les orchestres de Dallas et de Minneapolis. Wilma COZART avait été secrétaire et assistante d’Antal DORATI, qui avait été lui-même directeur musical de l’orchestre de Dallas avant de devenir le directeur musical de l’orchestre de Minneapolis.
L’expérience de David HALL en musique Classique, les contacts, les idées et les connaissances de Wilma COZART, la haute technicité de Robert FINE pour la prise de son.
En cette fin d’année 1950, le trio MERCURY LIVING PRESENCE était réuni.
David HALL quitte l'équipe MERCURY en 1956 et Harold LAWRENCE vient la rejoindre en tant que Directeur Musical.
La marque de fabrique de MERCURY LIVING PRESENCE, c’est la prise de son vivante de très haute qualité à microphone unique.
Le placement du microphone était bien entendu primordial. La situation précise était retenue en fonction des critères de réverbération de la salle et du positionnement de l’orchestre.
Sur ce point, on peut faire un parallèle entre Robert FINE et André CHARLIN. Tous deux écoutaient la salle, disposaient le microphone au meilleur endroit et installaient l’orchestre autour du microphone, que ce soit sur la scène ou dans la salle suivant les cas de figures.
Le microphone étant le capteur principal par lequel "passe" le son est donc un maillon d'une importance majeure.
Bob FINE, qui n'était pas un débutant avait eu l'occasion de faire des recherches poussées en matière de microphones, et dès le départ son choix s'est tourné vers les microphones allemands NEUMANN.
Par la suite, pour améliorer ses prises de son, Robert FINE s’est intéressé à un autre fabricant allemand de microphone, inconnu à l’époque aux Etats Unis, le Dc SCHOEPS. Le microphone électrostatique SCHOEPS 201, étant plus sensible et ayant une couleur très différente du NEUMANN, devient le compagnon privilégié de nombreuses prises de son.
Et la Stéréophonie ?
On ne peut pas dire que cette équipe de choc aussi avancée dans son business n’y ait pas pensé.
Et pour cause, depuis un certain temps déjà, chez MERCURY on réfléchit à une captation multicanaux.
Les premières tentatives d’enregistrement bi-canaux sont réalisées en 1952 avec 2 microphones mais Bob FINE n’est pas convaincu.
L’enregistrement à deux canaux est moins clair que les enregistrements mono de la marque, bref ce n’est pas ça.
Il reste persuadé que la meilleure façon de faire de l’écoute binaurale est de partir de la base mono qu’il maitrise si bien et de rajouter un complément d’élargissement de la scène sonore avec 2 microphones latéraux droite et gauche.
C’était le concept de la stéréo à 3 microphones.
En 1954 Robert FINE fait acheter à MERCURY un magnétophone AMPEX 300-3, un appareil 1/2 pouce à 3 canaux qui venait de sortir et qui qui sera livré en 1955.
A partir de cette année, tous les enregistrements sont réalisés en 3 canaux et en 2 canaux stéréo simultanément. L’enregistrement stéréo 2 canaux ne tient compte que des 2 microphones droite et gauche.
Devant le manque de résultat, l'enregistrement stéréo 2 canaux est rapidement abandonné au profit de l'enregistrement 3 canaux et d'un secours mono du microphone principal.
A partir de l’avènement du magnétophone, en 1948, le développement de l’enregistrement magnétique, qui avait longtemps stagné, s'accélère. Les essais de stéréophonie remontent bien avant les années 50, mais c'est en 1953, qu'on a commencé à voir apparaître des magnétophones à 2 canaux et des magnétophones stéréo.
En 1955, alors que le disque n’était encore que Mono, on enregistrait sur bande magnétique en stéréophonie.
Il n’y avait alors aucun moyen de restitution stéréophonique sur disque. Le disque stéréo n’a été commercialisé qu’en 1958.
Il y a eu dans les années 55 / 58 un marché de la bande magnétique stéréophonique enregistrée, marché qui s’est éteint avec l’arrivée du disque stéréo.
En fait les premières gravures de disques stéréophoniques datent de 1956/1957 mais, à cette époque, il n’existait aucun équipement de reproduction, les têtes de lecture stéréophonique n'existaient pas, ni les préamplis ni les amplis, d'ailleurs.
Les installations stéréophoniques du début de la stéréophonie étaient en fait des doubles installations mono.
Il est à préciser que les premiers disques stéréophoniques n’étaient pas compatible mono et qu’une lecture sur un équipement mono endommageait irrémédiablement les sillons.
A partir de 1955, MERCURY enregistre tout en 3 canaux.
L’avantage de cette option est de disposer d’un vrai enregistrement mono sans compromis de qualité MERCURY et de pouvoir également disposer d‘un enregistrement stéréophonique, selon les critères MERCURY, par mixage du canal central vers les voies droite et gauche.
Avril 1957, Wilma COZART devient Madame Robert FINE.
A partir de 1958, tous les disques MERCURY sont gravés et diffusés tant en mono qu’en stéréo. Référence MG pour les disques Mono et référence SR pout les disques stéréo.
Les gravures mono sont issues de vrais enregistrements mono à un seul microphone et les gravures stéréo sont issues d’un mixage des 3 canaux de l’enregistrement d’origine.
On pourrait résumer ainsi la situation: Ils ont choisi le meilleur de chacun des 2 mondes !
Il est à noter que, durant cette période, les mixages stéréo à partir de la bande mère 3 pistes n'étaient pas enregistré. A chaque gravure on refesait le mixage. De même, le pas variable des enregistrements microsillon étaient au départ totalement manuel. C'était Wilma COZART qui suivait la partition et renseignait l'ingénieur au graveur de ce qui allait se passer. C'était du pas variable manuel !
De par ses précédents travaux dans le cinéma, Robert FINE connaissait bien les enregistreurs 35 mm sur pellicule magnétique. C’est ainsi, que lors de la vente des équipements de la société EVEREST qui arrêta son activité en 1959, la machine WESTREX 3 pistes sur film 35 exclusivement utilisée par le label EVEREST rejoignit les équipements de prise de son de MERCURY LIVING PRESENCE.
L’enregistreur Film avait des avantages certains comparé à la bande lisse ½ pouce de l’AMPEX 300-3. La pellicule magnétique 35 mm était beaucoup plus large et plus épaisse. L’épaisseur permettait de minimiser et de reculer les effets d’empreintes ou de pré écho entre spires. Les pistes étant plus larges et plus espacées, permettaient d’obtenir un meilleur rapport signal sur bruit et une meilleure isolation entre canaux, donc une diaphonie moindre.
A côté de ces avantages, il y avait quelques inconvénients.
Le problème majeur concernait le montage.
En bande lisse on coupe où on veut et on raccorde ce que l'on souhaite.
En bande perforée, ce n'est pas aussi simple.
Il faut respecter le pas des débiteurs dentés. On ne peut donc pas couper n'importe où ni raccorder n'importe quelle portion de bande à une autre. Cette servitude particulière nécessitait de reprendre les enregistrements sur plusieurs mesures afin de se ménager suffisamment de possibilités pour le montage.
Spécificité de la bande magnétique perforée.
En format 35mm le pas des perforations est de 4,75 mm.
A raison de 4 perforations par image et d’un défilement à 24 images/seconde, la bande perforée “tourne” à 456 mm/s.
Les vitesses professionnelles de défilement en bande lisse sont : 19 cm/s, 38 cm/s voire 76 cm/s pour le “mastering”.
En pellicule 35 mm magnétique, l’écart entre 2 perforations, qui représente une fraction de temps indivisible, est d’un peu plus de 1/100eme de seconde, très exactement 0,010417 seconde !
Ce qui signifie que le montage en bande magnétique perforée devant respecter l’écart entre perforations, la précision de montage ne peut être inférieure à 1/100eme de seconde.
On pourrait s’imaginer que 1/100eme de seconde ce n’est pas grand-chose, mais n’en croyez rien, sur une attaque d’instrument c’est ce qui distingue une attaque franche d’une “hésitation”.
ERE PHILIPS
1961, PHILIPS devient propriétaire de MERCURY.
PHILIPS a acheté une maison de disque avec une équipe, un savoir faire, un catalogue et du matériel.
Mais en plus, cette acquisition va également permettre à PHILIPS de commercer avec les ETATS UNIS.
Pendant 2/3 ans peu de choses vont changer chez MERCURY et PHILIPS utilise l'équipe pour certains de ses enregistrements.
1964 les accords entre MERCURY et différents de ses représentants européens sous contrat arrivent à échéance et PHILIPS saisit l'occasion pour complètement remodeler les choses et changer les méthodes de travail.
Wilma COZART-FINE quitte MERCURY en 1964.
Le dernier enregistrement LIVING PRESENCE réalisé par l’équipe originale MERCURY, eu lieu à San ANTONIO en novembre 1967, c’était un enregistrement des ROMEROS et de l’orchestre symphonique de San Antonio.
1967 correspond à la "vraie fin" de MERCURY LIVING PRESENCE.
A partir de 1967, il ne subsiste plus rien de la philosophie MERCURY autrement que par ses enregistrements.
PHILIPS a réussi, il est entré sur le marché américain et dispose pour son compte du prestigieux catalogue MERCURY existant.
Robert FINE, qui n'était que consultant chez MERCURY, a poursuivi sa carrière de son côté avant de disparaitre en 1982.
Dans les années 90, PHILIPS propose à Wilma COZART-FINE de superviser la réédition CD du catalogue MERCURY. Après quelque temps d'étude et de réflexion, la restauration de la machine AMPEX 300-3, de l'enregistreur WESTREX et de la console, les travaux peuvent débuter.
Wilma COZART-FINE nous a quitté le 21 septembre 2009 après avoir elle-même remasterisé les bandes originales MERCURY 3 canaux sur CD.
Les CD sont donc légèrement différents des LP originaux puisque les mixages d'origine n'ayant pas été enregistrés, il a fallu remixer les bandes 3 pistes pour la conversion numérique.
Parmi ce programme, il y a eu la réédition de quelques SACD multicanaux (3 canaux frontaux) qui ont l’avantage de reproduire le plus fidèlement possible la bande originale 3 pistes.
Bob FINE et Wilma COZART
Les photos qui illustrent cette page sont issues de pochettes de disques MERCURY et de publications PHILIPS, DECCA et WESTREX.
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