Mais où sont passés les enregistrements originaux d’André CHARLIN ?

Au moment de la faillite du CECE et des Disques André CHARLIN, début des années 80, une escouade d’huissiers est venue faire un inventaire comme il se doit dans une situation pareille.
Ces gens-là ont certainement des qualités cachés... mais ils sont parfois aussi discrets qu’un troupeau d’éléphants dans un magasin de porcelaine.
Lors de l’inventaire, “ces braves gens” ignorant ce qu’était une bande magnétique en galette ont manipulé les précieux enregistrements sans se douter de ce qu’ils avaient entre les mains, de toute manière, une bande magnétique en soi ça vaut des clopinettes… quand à imaginer que sur un tel support puisse être “fixé” un événement exceptionnel, il ne faut tout de même pas trop leur en demander.
Bref, après avoir manipulé et tripoté les bandes sans précaution aucune, un grand nombre des enregistrements originaux avaient vécu ! André CHARLIN a confié à ses proches le cœur serré que lors de l’inventaire ils pataugeaient littéralement dans la bande magnétique.
L'inventaire a malheureusement scellé le sort d'une bonne majorité des enregistrements originaux.

Il y eut tout de même des survivants.
Parmi les bandes originales de l’époque qui ont survécu au carnage nous avons retrouvé BETULIA LIBERATA en 6 bandes PYRAL à 76 cm/s qui est parfaitement conservé et exploitable ainsi qu’une session d’enregistrement avec Ernst Erhet de la Messe Pastorale de Diabelli, toujours sur PYRAL à 76 cm/s.
BETULIA LIBERATA est une copie pour gravure de la bande originale datée du 18 novembre 1960.
A coté de ces originaux nous avons également retrouvé des copies 38 cm/s d'un certain nombre d'oeuvres.


Bon, il semblait donc qu'un certain nombre de bandes originales ne soient plus disponibles. Ce n’était pas une raison pour baisser les bras.
Je n’avais pas encore dit mon dernier mot et je me suis donc attelé à la recherche des bandes d'André CHARLIN.
Le CECE ayant commercé avec différents autres labels, on pouvait raisonnablement espérer retrouver des copies d’enregistrements originaux chez NONESUCH, HERITAGE… et d’autres et bien entendu chez TRIO qui était le représentant au Japon.

La cessation d’activité d’André CHARLIN remonte au début des années 80. Tous les enregistrements et copies du CECE ont donc été exécutés sur des bandes robustes et fiables d’avant les années 80.
Après 80, pour beaucoup, la bande magnétique vira au cauchemar !
Comme les “choses marchaient bien”, les fabricants de bandes magnétiques ont décidé de jouer aux sorciers et nous ont sorti des formules chimiques hautement instables qui ont été à l’origine de galères sans nom pour nombre de studios.
Dans notre studio nous utilisions de la bande AGFA PEM 468, une excellente bande qui avait toujours été à la hauteur de nos attentes. Aussi quand un matin la bande est restée collé sur les têtes, nous étions perplexes.
Le fabricant n’ayant aucune explication satisfaisante considérait que c’était la faute du client… De toute manière, c'est toujours la faute du client. Dans un second temps des analyses poussées ont mis en évidence qu’il s’agissait d’un problème de solvant. Les fabricants se sont mis à remplacer les lots de bandes à tour de bras, mais le mal était fait.

Les ALBOHAIR, dans la donation CHARLIN, avaient à leur disposition les pères & mères pour fabrication de vinyle, ainsi que les bandes ayant survécu à l’épisode de l’inventaire "houleux" de liquidation.
Dès qu’ils ont été dépositaires des disques André CHARLIN, au début des années 80, ils se sont préoccupés de remettre la main sur des bandes originales ou copies et ont contacté les différents labels qui entretenaient des relations commerciales avec le CECE.

NONESUCH a renvoyé des copies réalisées vers le milieu des années 80 mais ces bandes, pour la plupart, souffrent malheureusement du syndrome "solvant bande magnétique, et ne sont que partiellement utilisables.
L'ANGELICUM a également fourni des bandes qui sont elles totalement exploitables, dont une copie du disque VIVALDI / AMS 25.

Il nous restait encore la piste des copies “pour TRIO” à exploiter.



La collaboration CHARLIN/TRIO remonte aux milieu des années 60.
TRIO un label respecté à l‘époque du Vinyle, était essentiellement porté sur le Jazz, mais avait signé, courant 68, un accord de fabrication avec André CHARLIN.
Au titre de cet accord, TRIO exécutait gravure et pressage vinyle d’une sélection d’enregistrements CHARLIN pour le Japon, le CECE envoyant des copies des bandes originales pour gravure et presage sur place.
Les bandes utilisées par TRIO sont certes des copies, mais des copies de bandes originales du plus haut intérêt.

Suite à leur demande, les ALBOHAIR ont récupéré de la part de TRIO des copies 38 cm/s en NAB du CECE sur bandes PYRAL portant la mention “pour TRIO”. Ce sont des copies de bandes mères pour la réalisation des disques au Japon.
Parmi ces bandes, certaines étaient accompagnées d’une feuille de contrôle de TRIO daté de 1982.


Ce lot de copies CECE sur bandes PYRAL concerne pas mal de sujets, dont les 5 disques de FAURE de Germaine TYSSENS-VALENTIN.
Les copies de FAURE expédiées au Japon ont été réalisées en 1972, 73 et 76 sur de la bande PYRAL.
Pour tout dire, ces bandes, qui sont d'ailleurs accompagnées d'une feuille notant les corrections à apporter, sont assez décevantes, bruit important et déséquilibre tonal.


Ces bandes, enregistrées sur des supports d’avant 1980, sont encore utilisables de nos jours. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de perte de flux, et que c’est aussi bon qu’au premier jour, mais c’est exploitable.

Les bandes originales du CECE étaient généralement enregistrées à 76 cm/s. Les copies de sécurité et les copies pour les autres labels étaient généralement à 38 cm/s en CCIR pour le marché européen et en NAB pour le reste du monde.
Les copies PYRAL du CECE portant la mention “pour TRIO” sont à 38 cm/s NAB.
Plus récemment un certain nombre de copies ont été réalisées avec le procédé DOLBY A, notamment Lucio silla et un autre opéra de MOZART, et là, c'est une autre affaire.


TRIO a également renvoyé en France des copies des enregistrements du CECE sur SCOTCH 206 réalisées vers le milieu des années 80 et malheureusement ces bandes sont, pour un bon nombre, "difficilement" utilisables du fait de la décomposition des solvants.
C'est un phénomène connu. La solution consiste à faire évaporer les solvants et à sécher la bande par un passage au four.
Bien entendu, ce n'est pas un passage au four de la cuisine ! Cette opération est délicate, mais le résultat est souvent à la hauteur des efforts déployés.
D'un autre coté, le point positif, c'est que TRIO n’ayant renvoyé que des copies, les bandes originales doivent toujours être au Japon !

Que s’est-il passé après les années 80 ?
TRIO qui n’avait pas vu venir le CD, ou qui n’avait pas voulu le voir venir, n’avait pas imaginé l’après vinyle et n’a pas résisté bien longtemps.
En 1985 TRIO se sépare de sa branche disque et la cède à ART UNION, société majoritairement formé par les anciens de TRIO Disques.
Après 85, une première vague de certains des enregistrements CHARLIN voit le jour sous forme de CD chez CROWN Records.
Puis en 1993, VENUS Records, société créée en 92 par Tetsuo HARA, sort une collection de 24 CD des enregistrements CHARLIN. Là aussi il y a quelque chose d’étrange car VENUS Records est, comme l’était TRIO, un label spécialisé dans le Jazz.
Quand on demande à monsieur HARA, pourquoi avoir réédité la collection CHARLIN, la réponse est : Je suis un spécialiste du Jazz mais j’aime bien le classique également.

S’il y avait encore une chance de trouver des "copies originales" voire des bandes originales CHARLIN, c’était bien à TOKYO qu’il fallait les chercher.

ART UNION a repris tout le département disque de TRIO en 1985 avec dans le lot les disques CHARLIN.
Etant à l’ère du numérique et du fait des problèmes de fiabilité des bandes magnétiques, ART UNION décide de numériser les enregistrements CHARLIN.
Ce sont ces fichiers numériques qui seront mis à la disposition de Monsieur HARA lorsqu’il acquière les droits des enregistrements CHARLIN. Le but de Monsieur HARA étant de sortir une édition CD, il ne s’intéresse pas aux bandes originales et ne cherche pas plus loin.

Début 2017 je contacte Monsieur HARA pour lui parler des enregistrements CHARLIN et nous prenons rendez-vous chez lui au siège de VENUS Records. Ma question concernant l’existence de bandes originales ayant éveillé son intérêt, il se pique au jeu et s’intéresse lui aussi aux bandes du CECE. Il contacte un ancien de TRIO toujours en activité chez ART UNION avec qui il avait fait affaire en 1993. Son interlocuteur se souvient très bien des enregistrements CHARLIN et nous apprend, malheureusement, que les bandes originales ont été détruites après leur numérisation.

Fin du feuilleton, on n’a plus beaucoup de chance de retrouver aujourd’hui des enregistrements originaux d’André CHARLIN.


Il faut donc se rendre à l’évidence et forcément sur le coup on est un peu déçu.
Je me suis donc intéressé aux copies sur SCOTCH 206 renvoyées par TRIO.
Ces bandes, à "problème" sont très fragiles et le challenge consiste à pouvoir les relire.
Après assèchement en étuve, il faut les rembobiner en douceur sans les "stresser".
J'ai réalisé un appareil de rembobinage avec trajet direct de bobine débitrice à réceptrice. La vitesse de rembobinage est totalement maitrisée pour éviter les déteriorations irréversibles.
Pour certaines bandes on arrive à des résultats convaincants.
Après tatonnement, j'ai réussi à "archiver" tout de même un certain nombre d'enregistrements.

Pour archiver ces moments précieux, j'ai utilise, en fonction des vitesses des corrections et des spécificités, les matériels suivants :
- Lecture : NAGRA T AUDIO - STUDER A 812 - SONY MCI APR 5003 - STUDER B 67 MKII.
- Conversion : MADA FORSSELL - certainement un des meilleurs convertisseur professionnel.
- Enregistrement : NAGRA VI en 24 bits / 96 KHz ou enregistrement directement sur DAW à 24 bits / 96 KHz.
- Pour les bandes DOLBY A - Décodage avec des outils d'origine : DOLBY 360 & DOLBY 361.
(Afin de respecter les étalonnages DOLBY A, une paire de DOLBY 361 est affectée au STUDER 812 et une paire de 360 au NAGRA T Audio.)


En ce qui concerne les "mères", ne perdons pas de vue que jusque dans les années 50 on enregistrait exclusivement sur disque car on n’avait pas d’autre ressource.
Lors de l’arrivée des magnétophones, il y a d’ailleurs eu bataille entre l’enregistrement sur disque et l’enregistrement sur bande.
C’était une bagarre perdue d’avance car on n’a jamais vu de montage sur disque… avez-vous déjà réussi à extraire un sillon et à le raccorder à un autre ?

Les mères sont l’ultime témoignage des disques d'André CHARLIN et Arlette ALBOHAIR veille sur elles.
Lire une mère dans de bonnes conditions de manière à obtenir un résultat exploitable n'est pas la tâche la plus simple que je connaisse.
Après avoir pris les précautions d’usage, car les mères étant des disques métalliques on ne peut pas utiliser n’importe quel matériel tant en plateau tournant qu’en tête de lecture, on obtient des résultats convaincants qui permettent tout de même de sauver ces enregistrements de l'oubli.
Nous avons effectué tout ce travail pour remettre au gout du jour les enregistremenst CHARLIN en sortant la nouvelle collection "RENAISSANCE".
Pour cette collection "RENAISSANCE" seuls des documents originaux analogues ont été utilisés et manipulés avec le plus grand respect de manière à proposer des fichiers haute définition sans artifice.


André CHARLIN Disque suite :
A suivre une interview d'André CHARLIN datant des années 80.